Après une traversée limpide du lac Léman, un navire accoste sur le rivage d’Evian pour débarquer ses passagers aux sources d’une aventure artistique centrale de l’histoire de l’art. Le symbole du labyrinthe, et le polymorphe minotaure en son sein, influencent la psyché des grands noms de l’art depuis des siècles. Au premier rang, la création de Picasso a confronté les modèles anciens à une curiosité et une inventivité uniques pour nourrir l’une des thématiques les plus singulières de son œuvre.
En résumé et dans la mythologie grecque, le minotaure naît de l’union de la reine de Crète, Pasiphaé, avec un taureau : génération hybride qui explique son aspect mi-animal mi-homme. Minotaure est enfermé par Minos dans le labyrinthe conçu par l’architecte Dédale afin qu’il ne puisse s’en échapper et que personne ne puisse ainsi découvrir son existence. Tous les neuf ans, le roi d’Athènes, Egée, se voit obligé d’offrir sept jeunes hommes et sept jeunes filles au minotaure en sacrifice. Thésée, fils du roi d’Egée, se porte alors volontaire pour accompagner l’un des groupes dans le but de confronter le monstre fabuleux. Thésée, jeune héros, parvient à tuer la bête, puis à sortir du dédale grâce au fil que lui a donné Ariane, demi-sœur de la créature.
A Evian, une déambulation passionnante attend le visiteur dans l’atelier du maître…
Le maître espagnol était passionné tout d’abord par la tradition de la corrida, fasciné, obsédé par ce spectacle final de l’achèvement du taureau par le matador, tel un sacrifice. Le minotaure apparaît chez Picasso dans un grand collage en 1928, puis en 1933, dans l’assemblage qui sert au premier numéro de la revue surréaliste éponyme. Le mythe est fort. Picasso s’en empare avec énergie, il marquera sa vie artistique et amoureuse. Le minotaure n’est pas, aux yeux de l’artiste, qu’une bête féroce, mais bien un être doté de sensibilité et de sentiments.
La femme, ou plutôt les femmes que l’artiste a connues, et qui ont partagé sa vie pendant plusieurs années auront toutes eu un rôle dans sa carrière. Le Picasso amoureux est largement évoqué et développé tout au long de l’exposition et agit sur son art, on peut deviner la période d’une relation en fonction de son œuvre, s’il est en début de relation où les traits sont d’une extrême délicatesse et d’un érotisme heureux… lorsque la situation du couple implose, l’œuvre se fait violence. L’appétit de Picasso à dévorer la vie avec passion ne connait pas de limites. La femme est son modèle, son phare, sa source d’inspiration qu’il ne cesse de vénérer et de consommer sans retenue jusqu’au point de rupture…jusqu’à la prochaine proie.
La scénographie présentée reprend celle du labyrinthe comme le motif elliptique du fil croisé, tissant un parcours ponctué d’œuvres d’artistes pluriels (Gustave Moreau, Gustave Doré, Erwin Blumenfeld, André Masson, Henri Matisse, François-Xavier Lalanne, Ernest Pignon-Ernest…). Une confrontation des regards fructueuse qui abrite une centaine de peintures, sculptures, dessins, gravures, céramiques, tapisseries et photographies, provenant de collections publiques et privées.
Un riche corpus retraçant « l’histoire » de la créature du 18e siècle à nos jours, croisant les œuvres d’un Picasso qui s’est approprié le mythe en lui donnant la forme sans cesse évolutive de l’autoportrait.
« Picasso, l’atelier du Minotaure », nous invite à suivre ce fil d’Ariane au cœur du labyrinthe créatif de Picasso, renvoyant à la face du visiteur son propre rapport intime et intuitif envers le mythe, le symbole, la bête. En un mot : à l’Art.
(« Picasso, l’atelier du Minotaure », du 30 juin au 7 octobre 2018, Palais Lumière, 74500 Evian-les-Bains, https://www.evian-tourisme.com/sortie/exposition-picasso-latelier-du-minotaure-evian-les-bains/ ; tous visuels photos Stéphane Chemin)