De fractures, il en est beaucoup question dans le livre que Diane de Margerie consacre à Marcel Proust (« Proust et l’obscur », Albin Michel), diffractant les moments sourds de La Recherche, ressassant les pulsions, l’effroi, le sang, écumant petits sadismes et grands mensonges tapis dans la touffeur de textes moins célèbres, tels « Les Plaisirs et les Jours » ou « Jean Santeuil », « extra-temporalisant » les maléfices d’un édifice et de son architecte pour en éclairer la pertinence. Un exorcisme, en quelque sorte. Loin de tout accès de « marcellisme », Diane de Margerie, dont les écrits précédents renvoient en écho bien des thèmes proustiens, s’intéresse ici, dans une plume frottée au plus réjouissant vocabulaire de La Recherche, aux innombrables déviances et à la multiplicité des visages innervant la création de celui qui reste, en France, comme l’écrivain le plus révéré, et paradoxalement aussi, l’un des moins accessibles.

"Proust et l'obscur" de Diane de Margerie - Editions Albin Michel

« Proust et l’obscur » de Diane de Margerie – Editions Albin Michel

 

Il est vrai, Proust continue d’intimider. Combien, parmi ceux qui lui vouent un culte familier, ignorent jusqu’à la simple signification de ses orchidées ? Rampante ou fleurie, grouillante ou embaumée, c’est à une prose sensitive et mémorielle que nous invite Marcel. Fidèle d’entre les fidèles, Diane de Margerie a entendu son appel. Et c’est à la manière d’un charmeur de serpents que l’auteure s’engouffre à sa suite dans cet antre obscur, froid, côtoyant le cauchemar et ayant partie liée avec l’humaine horreur des fantasmes délétères. Car « bien » lire Proust, c’est aussi le lire en coupable. Truffé d’anecdotes langagières et de fines analyses hypertextuelles, « Proust et l’obscur » se distingue en ceci de la pléthore d’autres ouvrages sur le sujet qu’il rend le mythe à hauteur d’homme. Exercice d’admiration, il souligne les perversités proustiennes à l’encre noire, reflète les obsessions cachées derrière « les petits pans de mur jaune ». Enfin, le livre prend un malin plaisir à grimer le lecteur en voyeur-jouisseur, lançant des ponts entre la galaxie proustienne et les grands symbolistes, de Thomas Hardy à Gustave Moreau. Un texte à se procurer d’urgence, à l’heure où s’achève le Festival Notes d’Automne qui consacra son début de programme à « La Sonate de Vinteuil », et après la rétrospective qui fit les beaux jours de l’été 2010 au Musée des Lettres et Manuscrits à Paris. Indispensable, avant de relire Proust…ou pour bien le débuter, c’est-à-dire au plus mal.

(« Proust et l’obscur » de Diane de Margerie, éditions Albin Michel, sortie Janvier 2010, 240 pages, 19,80€ )