Trois expositions présentent les talents multiples de celui qui reste une figure hors-normes du 20e siècle : le Musée des Beaux-arts explore l’intime et le processus de création à travers « Boisgeloup : l’atelier normand de Picasso ». Le Musée de la Céramique reçoit « Picasso : sculptures céramiques ». Enfin, le Musée Le Secq des Tournelles confronte deux sculpteurs de métal : « Gonzáles/Picasso : une amitié de fer ». Après ce programme muséal, le visiteur pourra pousser sa curiosité jusqu’au château caché du maître, à Boisgeloup, qui ouvre pour la première fois ses portes au public. Visite guidée…
« Boisgeloup : l’atelier normand de Picasso » au Musée des Beaux-arts, Rouen
En 1930, Picasso est devenu un artiste reconnu internationalement que les marchands d’art s’arrachent depuis l’invention du Cubisme qui révolutionna l’histoire de l’art au début du 20e siècle. A cette période, l’homme est sollicité par la vie mondaine parisienne mais ressent l’envie d’ailleurs, afin de se ressourcer en matière de création sans trop s’éloigner de la capitale française. Il opte pour se mettre au vert et achète en Normandie le château de Boisgeloup, dans la commune de Gisors, en juin 1930. Si, à cette époque, ce n’était pas le tout confort d’aujourd’hui, Pablo Picasso y voyait l’espace nécessaire pour créer et explorer de nouvelles dimensions artistiques. Il trouva en ces lieux ce qu’il était venu chercher et développa, dans les anciennes écuries du domaine transformées en atelier, un nouveau langage artistique, jamais connu auparavant, à travers un dialogue entre la peinture, la sculpture, le dessin, la gravure et l’écriture poétique.
A Boisgeloup, tout se répond et se développe.
L’art de Picasso est en mutation constante, c’est un ogre de la création qui a toujours faim, ses amis surréalistes l’inspirent et le rendent encore plus inventif. Il teste le plâtre, qui lui permet de faire des empreintes d’objets en négatif/positif. Il sculpte cette matière, au couteau, de manière primitive et en fait surgir un minotaure blessé sous forme de bas-relief, ce matériau non noble pouvant se révéler d’extrêmes douceurs et sensualité lorsqu’il conçoit, en 1931, son « buste de femme » qui rappelle la passion de Picasso pour l’art pariétal. Les objets trouvés dans le domaine s’avèrent être une mine d’or pour le créateur, qui détourne l’objet de sa fonction usuelle en le combinant à d’autres pour en faire surgir des sculptures d’apparence humaine sorties de son imaginaire onirique (« Figure » en 1935).
Ainsi Picasso, dans ses fertiles années normandes, réinvente avec poésie le quotidien.
La rencontre avec Marie-Thérèse Walter, en 1927, dans un grand magasin parisien, va bouleverser sa vision artistique et agira tel un catalyseur… cette jeune femme blonde aux yeux bleus deviendra sa maîtresse cachée et mettra en marge sa femme Olga. Omniprésente à cette période dans l’œuvre du maître, Marie-Thérèse devient son modèle exclusif, le cube a laissé place à la rondeur et aux courbes voluptueuses. Picasso chante l’amour à travers sa muse radieuse, ses têtes géantes sculptées et les formes de ses peintures se fluidifient pour transcrire l’insaisissable essence de l’érotisme.
Marie-Thérèse est la femme qui offre sa plastique à la création en état de grâce. L’artiste côtoie son amante dans ses œuvres et revêt différents habits, tel le « peintre et son modèle », ou se mue en Minotaure bestial prêt à dévorer l’innocence de la Belle endormie. Ici, l’artiste renoue avec le bonheur et la simplicité inspirés par cette déesse à la chevelure dorée. Les amants vivent à cette période une totale connivence dans un paradis perdu reconstitué. L’exposition plonge le visiteur au cœur de l’intimité du couple à travers de nombreuses œuvres graphiques, mais aussi différents clichés photographiques et un film amateur retraçant une joie de vivre protégée du monde extérieur tel un refuge.
L’atelier figure ici le creuset de la création. Picasso signe des dessins, gravures, eaux-fortes et toiles suggérant l’apaisement et la quiétude. L’exposition retrace cinq années de vie, de création intense, et présente 200 œuvres et documents en provenance du Musée national Picasso Paris, du Centre Pompidou, du Musée d’art moderne de la ville de Paris, du Musée Picasso d’Antibes, du Kunstmuseum Pablo Picasso Münster, de la Fundation Almine y Bernard para el Arte et de collections particulières. Lorsque Picasso disait « Donnez moi un musée et je vous le remplirai ! », l’atelier de Boisgeloup témoigne de la fertilité de l’artiste à concevoir des œuvres d’art !
Musée de la Céramique : « Picasso : sculptures céramiques », Rouen
En 1946, Picasso visite l’exposition annuelle des potiers de Vallauris près de Nice et rencontre le couple Ramié, propriétaire de l’atelier céramique Madoura. L’artiste désire renouer avec cet art ancestral qu’il avait pratiqué en début de carrière et se lance dans une nouvelle expérimentation liée à la terre et à la cuisson.
Il testera durant deux années ce médium et décida de s’installer sur place en 1948, jusqu’en 1955 après s’être lié d’amitié avec les propriétaires et privatisa Madoura pour sa production intensive. La pratique de la céramique est toute singulière avec Picasso. Il travaille en collaboration avec l’artisan Jules Agard, qui lui tourne différents objets fonctionnels de la table, l’artiste intervient dessus directement avec ses doigts, en sculptant et modulant les formes de la glaise fraîche. Il travaille également l’argile : il modèle, moule, assemble et enfin il peint et maîtrise la mise en couleurs des formes grâce aux techniques spécifiques de la céramique.
Picasso détourne l’objet avec poésie, une bouteille se métamorphose en « femme agenouillée », une cruche prend la forme d’un « Priape », les thèmes de la mythologie grecque sont des sujets favoris du maître qui viennent nourrir son imagination avec le « Centaure ». Il développa un bestiaire à plumes avec ses oiseaux fétiches : hiboux et chouettes aux visages humains, mais aussi colombes symbolisant la paix chère à l’homme engagé politiquement. La céramique permit à Picasso de développer des concepts novateurs dans le domaine de la sculpture.
Musée Le Secq des Tournelles : « Gonzáles/Picasso : une amitié de fer », Rouen
Le Musée de l’art de la ferronnerie propose de mettre en lumière la collaboration entre les deux sculpteurs espagnols Julio Gonzáles et Pablo Picasso dans le but de confronter les apports réciproques des deux artistes.
En 1921, Picasso reçoit une commande d’un monument funéraire à la mémoire de son ami poète Guillaume Apollinaire. Il réalisa ainsi différentes maquettes pour ce monument et fit appel à son ami de jeunesse Gonzáles, rencontré à l’école des Beaux-arts de Barcelone et qui, depuis, était devenu peintre et ferronnier d’art. Ensemble, ils réalisèrent une dizaine de constructions et d’assemblages. Cette rencontre va initier la sculpture du fer et va révolutionner la conception traditionnelle par l’utilisation du plein et du vide. Leur collaboration va générer un enrichissement réciproque de la sculpture liée au métal.
Une quarantaine d’œuvres sculptées et dessinées de Gonzàles proviennent du Centre Pompidou. Seul bémol, la présence de Picasso est restreinte dans cette expo à deux sculptures de petites tailles et d’un carnet de dessins, on aurait aimé en voir plus !
Château de Boisgeloup, Gisors (Eure)
Le visiteur pourra prolonger la riche et unique expérience que constitue « Une saison Picasso » au château de Boisgeloup, pour la première fois ouvert au public. L’occasion de découvrir l’intimité de son atelier de sculpture, qui accueille pour l’occasion les œuvres de l’artiste contemporain américain Joe Bradley.
(« Une saison Picasso » à Rouen, 3 expositions sur Picasso au Musée des Beaux-arts, au Musée de la Céramique et au Musée Le Secq des Tournelles, du 1er avril au 11 septembre 2017, http://saisonpicassorouen.fr/fr ; tous visuels photos copyright Stéphane Chemin)