La question est intrigante et pourtant, comme on va le voir, a son intérêt : combien de fois par jour prêtez-vous attention aux chaussures des gens ? Enfonçant le point d’interrogation, « Shoe Obsession », de Valérie Steele et Colleen Hill prend le contrepied des idées reçues sur ces « accros aux chaussures » souvent stigmatisées comme des reines de superficialités par une société tellement intelligente qu’elle en oublie de penser. Etrangement, l’amalgame entre l’artifice dont nous parons nos petons ou qui nous aide simplement à marcher, et la médiocrité intellectuelle ne date pas d’hier.

Ne dit-on pas d’un auteur aux phrases particulièrement mal tournées qu’ « il écrit avec ses pieds » ? En effet, piètre cervelle et amour de l’accessoire vont souvent de pair pour la sagesse populaire ! De là à ramasser d’un même geste honni culte du paraître et fascination envers la beauté…il n’y a qu’un pas. Et d’ailleurs, pourquoi pointer toujours du pied les femmes ?

A lire « Shoe Obsession », les hommes ne sont pas en reste dès qu’il s’agit de se singulariser et se différencier de son prochain par le bout de la semelle.

« Shoe Obsession », Valérie Steele et Colleen Hill, Yale University Press publié en association avec le Fashion Institute of Technology

« Shoe Obsession », Valérie Steele et Colleen Hill, Yale University Press publié en association avec le Fashion Institute of Technology

Ainsi de Nicolas Edme Restif de La Bretonne, écrivain de la seconde moitié du 18e siècle surtout connu pour avoir été la magnésie de son propre grand œuvre. De fait, son autobiographie intitulée « Monsieur Nicolas, ou le Cœur humain dévoilé » (actuellement disponible en deux volumes Pleiade) s’épand sur pas moins de huit volumes et dix époques ! Or, ceux qui connaissent l’austère graphomane et typographe auxerrois ignorent sans doute l’autre passion, peut-être moins avouable, du sieur Restif de La Bretonne…

De lui, on dirait aujourd’hui qu’il était a shoe addict ! Imaginez un Restif de La Bretonne si fébrile face à une paire de chaussures rose bonbon à hauts talons verts que, fantasme ou réalité, l’envie de les posséder lui fit sur-le-champ les voler ! Et d’écrire au sujet de cet épisode, lucide mais fiévreux : « mes lèvres se pressèrent sur l’un de ces joyaux, tandis que l’autre, trompant la fonction de mère nature, me fit passer de l’excès à l’exultation en remplacement du sexe… » On ne saurait être plus explicite…

La moitié du livre fourmille de ces anecdotes, passées ou présentes, prises avec le recul afférent des deux auteures : Valérie Steele, curatrice en chef et directrice du FIT et Colleen Hill, conservatrice du musée en charge de la division accessoire.

Masaya Kushino - Flutterby shoes par Alberto Guardini

Masaya Kushino / « Flutterby shoes » par Alberto Guardini

Étonnamment, « Shoe Obsession » ne s’adresse pas qu’aux fashionistas et fétichistes des talons hauts, mais aussi et surtout à ceux que l’art interpelle. De nos jours, la chaussure est montée sur un piédestal. Ce que l’inconscient collectif charriait via Cendrillon hier, grands designers et créateurs de souliers le restitue aujourd’hui intact. A savoir, cette part de rêve et de volupté, ce manifeste même, enclos dans chaque paire d’escarpins portée dans le monde. La télé, ce média du 20è siècle capable (parfois) du meilleur comme (souvent) du pire, n’est pas étranger à l’antique résurgence du « bien chaussé ». Diffusée de 1998 à 2004, la série américaine « Sex and the City » où l’on voyait Carrie Bradshaw se balader dans tout New York, ses Manolo Blahnik chéries aux pieds, a fait florès et ce sont désormais des files d’attente rangées en ordre discipliné que le passant observe curieux devant les boutiques Christian Louboutin ! Ironie de nos temps modernes où le luxe ne s’est jamais si démocratisé ? Plutôt un honnête retour de balancier.

Christian Louboutin, Fetish Ballerine, 2007 ; Alexander McQueen, 2010

Christian Louboutin, Fetish Ballerine, 2007 /
Alexander McQueen, 2010

Car, à parcourir ce bel objet (il faut le dire) qu’est « Shoe Obsession », à admirer ces 150 paires amoureusement photographiées, à lire portraits et témoignages de collectionneuses (la créatrice de bijoux Lynn Ban, la styliste Yliana Yepez, l’icône Daphne Guinness, Imelda Marcos et ses 1006 paires !, etc.), à rentrer au plus près de la création, pour ainsi dire, penchés sur l’épaule de quelques uns des plus enthousiasmants designers shoe de ces 12 dernières années en activité, on ne peut s’empêcher de penser que ce siècle sera celui de la singularité.

Voilà peut-être le grand message du livre, faisant suite à l’expo. Que l’époque se répète cycliquement, que l’homme n’est jamais si différent de son voisin que lorsqu’il (se) crée un personnage. La chaussure comme reflet extrême de la personnalité de son détenteur. De quoi faire preuve d’humilité face à la futilité. Alors, la prochaine fois que vous sortez, pensez à baisser le regard…

(« Shoe Obsession », Valérie Steele et Colleen Hill, Yale University Press publié en association avec le Fashion Institute of Technology, 192 pages, 200 ill. couleur, 30€, sortie 30 avril 2013)

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