« Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en… »
Tu es plus belle que le ciel et la mer, Blaise Cendrars, in. Feuilles de route, 1924.
Un voyage, entre un ailleurs des mots, pas seulement, un dessein de l’âme humaine, plus encore.
Un dessein intérieur inspiré, une route libératrice, un exil, un cheminement. Une carte, un itinéraire réalisé par l’auteur à partir des collections de plusieurs départements du musée du Louvre. Un désir pour une Odyssée dont les routes du savoir, transhumance des idées à travers les siècles, sont un hommage à l’art, à la beauté et à la création littéraire. Une façon probablement de se réapproprier le monde, pour se perdre, par une autre perception du temps, de l’autre et de l’espace : pour mieux se connaître, se reconnaître.
Et si le voyage était tout simplement l’œil et la lumière de la contemplation ?
Comme l’a écrit Dante dans sa Divine Comédie, Chant I, L’Enfer :
« Au milieu du chemin de notre vie, ayant quitté le chemin droit, je me trouvai dans une forêt obscure. Ah ! Qu’il serait dur de dire combien cette forêt était sauvage, épaisse et âpre, la pensée seule en renouvelle la peur, elle était si amère, que guère plus ne l’est la mort ; mais pour parler du bien que j’y trouvai, je dirai les autres choses qui m’y apparurent.
Comment j’y entrai, je ne le saurais dire, tant j’étais plein de sommeil quand j’abandonnai la vraie voie, mais, arrivé au pied d’une colline, là où se terminait cette vallée qui de crainte m’avait serré le cœur, je levai mes regards, et je vis son sommet revêtu déjà des rayons de la planète qui guide fidèlement en tout sentier, alors la peur qui jusqu’au fond du cœur m’avait troublé durant la nuit que je passai avec tant d’angoisse fut un peu apaisée. »
Périple iconoclaste, envoutant, inventaire involontaire, Voyages s’ouvre subtilement avec une nouvelle de Djian, une autofiction sans concession, vive comme le mouvement des sandales du vent sur les dunes de la mémoire : « C’est sans doute ce sentiment de profonde liberté qui importe par-dessus tout et qui émerge, cette lumière que chacun convoite, d’une manière ou d’une autre, de la pire ou de la meilleure façon qui soit – celui qui ne cherche pas est déjà mort. »
Ce beau « catalogue » emporte son heureux lecteur vers les rives silencieuses des rites, des tablettes cunéiformes reflétant différentes conceptions du sacré, comme celle qui expose le mythe d’Etana. Un feuillet de papyrus funéraire d’Imenemsaouf, des éléments de sarcophage, un modèle de barque de l’Ancien Empire. Des gravures de Dürer, des eaux fortes de Rembrandt. Comme le dit Philippe Djian, trouver n’importe quel moyen pour s’enfermer est nécessaire, se perdre. Se sentir étranger. Pour découvrir la peinture à l’huile d’un panorama de Constantinople en trente-deux toiles jointives et numérotées, exécutées par Pierre Prévost entre 1818 et 1823, date de sa mort. Le Pinceau voyageur de Pierre Alechinsky, Noa Noa, de Gauguin, Lacs de montagne de Louise Bourgeois, le Mirador de Victor Hugo, les sculptures de bois polychromes Exil de Martin Salazar…
Mais, c’est l’œuvre Sur la route de Kerouac qui fait le lien entre le livre d’art et les stèles du temps ; entre l’Odyssée et Ulysse de Joyce. Un voyage, ou des Voyages dans le territoire des totems et qui couvrent de leurs ombres, les chemins de la liberté, un monde ouvert sur l’entier, de l’autre vers l’autre, de l’autre en soi, de l’entre en soi, dans l’infini d’une écriture au bout du rouleau du mot dactylographié, une quête d’identité.
(« Voyages » de Philippe Djian, Coédition Gallimard/Musée du Louvre éditions, 200 pages, 70 ill., couverture illustrée, sortie 28 novembre 2014, 29 €)