Le parcours de l’exposition, à la fois thématique et chronologique, s’étend sur une dizaine d’espaces. À mesure que l’on progresse, la singularité des fondements esthétiques de Warhol entre en résonnance avec les œuvres exposées. Le chemin de l’exposition s’émaille de citations de l’artiste, de photographies et d’interviews. L’exposition dévoile aussi les regards portés par Andy, sur la société contemporaine et l’état de la production artistique.

"Shadows" d'Andy Warhol

« Shadows » d’Andy Warhol

On est introduit à une profonde réflexion sur la technique et les couleurs. Déjà amorcée par l’impressionnisme abstrait, de l’action painting de Jackson Pollock aux aplats de couleurs de Mark Rothko, Warhol s’inspire de la pensée de Marcel Duchamp. Le Pop Art, qui évoque, critique et poétise la société de consommation, lui est redevable. D’avoir transgressé les coutumes académiques et explosé le carcan des médiums traditionnellement employés. La création artistique peut désormais utiliser n’importe quel objet, avec, ou sans transformation. Dans ce contexte, Andy Warhol s’impose alors comme l’artiste de la démesure, qui, sans cesse, a exercé en dehors des cadres établis.

L’usage de la sérialité, un renouveau du procédé créatif

La répétition d’un même motif et la déclinaison des couleurs peut être difficile à interpréter. Lorsque, en 1962, Andy Warhol présente sa première sérigraphie, 32 peintures de boîtes Campbell’s Soup, l’œuvre se heurte à l’incompréhension totale du public et de la critique. Présentée selon un modèle d’étalonnage de supermarché, elle est jugée froide, banale et, chose intolérable, sans aucune émotion ! En 1966, il applique ce même procédé à ses Self-Portrait, avec autant d’inconstance qu’une boîte de soupe. Cassure nette avec la singularité du motif, le portrait de Warhol devient objet de culte.  Il semble y glorifier tantôt un objet de consommation, tantôt son propre portrait, aura fabriquée pourtant sans valeur aux yeux de Warhol, que certains voudront acheter plus tard.

La déclinaison des couleurs, colorées et vives, entoure les œuvres d’un sentiment de superficialité, qui se dénudent de toute interprétation spirituelle ou psychologisante. Aucune liturgie de l’œuvre n’est possible, ce qui fera dire à Warhol : « Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, regardez simplement à la surface : de mes peintures, de mes films et de moi, je suis là. Il n’y a rien derrière. » (Andy Warhol, The East Village Other, 1er novembre 1966)

L’artiste ne revendique aucune souffrance personnelle, ni ne prétend à l’originalité. Au contraire, il se demande comment  « être non original ».

"Self portrait", "Mao" d'Andy Warhol

« Self portrait », « Mao » d’Andy Warhol

Après ses premières séries, Warhol va alors explorer toutes les possibilités offertes par la production sérielle. En 1964, il utilise l’image de Jackie Kennedy, largement relayée dans la presse après l’assassinat de JFK, le 22 Novembre 1963. Réunion des thèmes du glamour, de la répétition et de la mort qu’il affectionne à cette période, il isole le visage de Jackie à partir des coupures de presse et exploite pleinement les aléas de l’impression sérigraphique, les incidents d’encrage, qui accrochent le regard par différentes intensités de noir.

À la même période, Warhol s’attache particulièrement au cinéma expérimental. Il mène ses expériences à la Factory, son atelier, où se croisent des individus aux antipodes. Des bas-fonds de l’underground aux cercles de l’art huppé, il réalise successivement ses Screen Tests à partir des personnalités qui gravitent dans cet univers. Des modèles, à l’instar de Lou Reed, Salvador Dalí ou Bob Dylan, posent devant la caméra et se « laisse filmer » pour la durée standard d’une bobine 16 mm. Les films sont tournés à 24 images par seconde et projetés à 16 images par seconde, où le temps semble ralentir.

«J’ai fait ça parce que généralement les gens ne vont au cinéma que pour voir la star et la dévorer, alors voilà enfin l’opportunité́ de ne regarder que la star pendant aussi longtemps que vous voulez, peu importe ce qu’elle fait, et de la dévorer à l’envi. Et puis c’était aussi plus facile à faire. » (Andy Warhol, The East Village Other, 1er novembre 1966)

Là encore, le spectateur adore des images, que Warhol lui offre à profusion. Dans la même lignée, Empire, célèbre projection de l’Empire State Building de 8 heures et 5 minutes à 16 images par seconde, exploite la répétition absolue. Il n’y a ni début, ni fin. On se perd devant une image, mystique et absurde. Illustrant la pensée humienne qu’une « répétition ne change rien dans l’objet qui se répète, mais elle change quelque chose dans l’esprit qui la contemple. »

"Empire" d'Andy Warhol

« Empire » d’Andy Warhol

Andy Warhol cherche à critiquer, au-delà l’apparente superficialité des œuvres, le culte de la personnalité et des objets matérialistes. Il interroge les valeurs d’unicité et de rareté de l’œuvre d’art. Si celle-ci est reproductible à l’infini, la notion même d’original perd son sens. En définitive, sérigraphie et répétition sont à la base d’un nouveau paradigme artistique. Ne réussissant à capter l’image pure, une reproduction parfaite à l’identique, ses séries, et plus tard ses œuvres cinématographiques, apparaissent comme une dilatation dans le temps d’un arrêt sur image. En parallèle, Warhol questionne le rapport du spectateur à l’œuvre d’art dans le lieu même où se fait la confrontation : la salle d’exposition.

La démesure, norme warholienne

Ainsi, si répétition et sérigraphie posent de nouvelles questions, ces techniques bouleversent aussi la relation du spectateur à l’œuvre d’art. La série des Cow, vache bovine censée imiter la passivité du spectateur, perturbe. Surtout, quand une autre sérigraphie, Electric Chair, plus macabre, vient se superposer dans un contraste absurde. Pareillement, le film Blowjob, fellation suggérée (seule l’extase du visage est filmée) puis parodiée (avec une banane), crée un sentiment de malaise et de plaisir. Une relation perverse s’établit entre le spectateur et l’œuvre. Il ne peut qu’être voyeur de cette scène, qui s’offre pourtant entièrement à lui.

"Blow job", "Screen tests" d'Andy Warhol

« Blowjob », « Screen tests » d’Andy Warhol

Mais d’autres œuvres ont eu pour effet de révolutionner la conception du parcours de l’exposition. Déjà en 1964, les Flowers étaient pensées comme « une seule grande peinture coupée en petits morceaux ». L’aspect fragmentaire de l’ensemble lui permet de transformer le mode d’exposition. Warhol transforme les peintures en grilles plus ou moins serrées saturant l’espace. Il effectue arbitrairement, des rotations de carrés. Il place les frises de « mini-fleurs » en hauteur et les grands formats près du sol.

En 1964, Andy Warhol expose à la Stable Gallery de New York. « The Personality of the Artist » présente des répliques de cartons d’emballage estampillés des logos de Brillo, Mott’s Apple Juice, Del Monte Peaches, Kellogg’s Corn Flakes et Campbell’s Tomato Juice.  Empilées, disposées en grilles sur le sol, elles donnent la sensation d’être dans un entrepôt, plutôt que dans une galerie d’art. Un « labyrinthe » dans les mots de Robert Indiana, où le spectateur doit se frayer un passage. Les boîtes, vendues à l’unité ou par lot, deviennent objets de culte. Privées de leur contexte d’exposition originale, elles redorent leur valeur d’unicité et de rareté.

New religion, quand série et nouveau cadre d’exposition plaident en faveur d’un art immatériel

« — Nous avons une nouvelle religion.

— Andy, qu’est-ce que c’est, dis Andy ?

— Rien.

— Rien ?

— Eh bien, la glorification de Rien. » (Andy Warhol, Detroit Magazine, 15 janvier 1967)

À partir de 1966, Warhol se focalise sur l’idée d’un art qui doit être immatériel et non matière, éphémère et non pérenne. Il entreprend alors de développer une œuvre d’art totale qui concentre projections de films et de diapositives, jeux de lumière et de danse, autour de la musique du Velvet Underground. Nommé Exploding Plastic Inevitable (EPI), Warhol délivre un spectacle multi-sensoriel, aux inflexions sadomasochistes auxquelles le public peut choisir de se mêler. Les Silver Clouds sont l’apogée de cet art immatériel, consacrant la fin de l’art comme objet. Les structures sont volatiles, éphémères, où les reflets miroitants sont en capacité de « tout faire disparaître. »

"Silver cloud" d'Andy Warhol

« Silver clouds » d’Andy Warhol

Shadows, l’œuvre synthèse de la pensée warholienne

Considérée par certains comme l’un de ses plus grands (ou pires) succès, Shadows est un cycle de 102 peintures. Impressionnantes peintures sérigraphiées sans commencement ni fin, elles sont collées bord à bord. Les teintes et l’interprétation abstraite variées (pénis en érection pour certains, flamme pour d’autres) entourent l’œuvre de questions. Qui ne concernent pas Andy. Interrogé sur les Shadows : « Est-ce de l’art ? », il répondait « Non » et il ajoutait « Vous voyez, on passait de la disco durant le vernissage, j’imagine que ça en fait un décor disco. » Nécessitant beaucoup d’espace, il est impossible de contempler Shadows dans son ensemble. Ainsi, les tableaux qui constituent l’œuvre se déroulent, à la manière d’une pellicule, dans l’espace et dans le temps.

"Shadows" d'Andy Warhol

« Shadows » d’Andy Warhol

Loin d’une superficialité critiquée, Warhol renverse le principe d’exposition et les notions de rareté et d’unicité liées jusqu’ici à la production artistique. Bien qu’il n’ait pas inventé la répétition, il en explore toutes ses dimensions et ses possibilités, instaurant ainsi un nouveau paradigme artistique. Andy Warhol interroge profondément la valeur de l’œuvre, par sa reproduction sérielle et l’inclusion dans un cadre original d’exposition. Il s’inscrit à la suite de Marcel Duchamp (La Fontaine), qui a transformé sur simple déclaration de l’artiste, l’objet manufacturé en œuvre d’art. L’insolence géniale de ses réponses laconiques révèle un parcours artistique empreint d’une profonde critique de la matérialité et de la fétichisation (encore pertinente) – de l’art et du monde – qui doit se solder dans un art immatériel, éphémère et total.

(« Warhol Unlimited » au Musée d’art moderne de la ville de Paris, du 2 octobre 2015 au 7 février 2016, http://www.mam.paris.fr/ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation du musée)

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