Lorsque le ciel bleu coiffe Varengeville, c’est la réunion des quatre éléments : la terre, la mer, l’air et le soleil… le village attire depuis la fin du 19è siècle un grand nombre de peintres et d’écrivains attirés par la grandeur et la beauté des paysages.
L’architecte d’origine américaine Paul Nelson a combattu durant la Première guerre mondiale sur le sol français avant d’installer son cabinet d’architecte à Paris. C’est en 1928 qu’il tombe sous le charme du village normand de Varengeville-sur-Mer et décide de s’offrir une maison de campagne, la même année il y invite le couple Braque à venir passer des vacances.
Georges Braque est l’inventeur du cubisme avec son ami Pablo Picasso au début du 20è siècle. Le maître apprécie alors de vivre dans le village de son ami et décide de s’y installer dès 1929 afin de s’y ressourcer et d’y trouver de nouvelles inspirations. Il y conçoit sa maison sur des bases épurées et de simplicité, Paul Nelson en fit les plans ainsi que celui de son atelier lumineux.
Ici, Braque renoue avec la peinture de paysages qu’il avait abandonnée en 1911. Il lui suffit de sortir de sa propriété, de se rendre à pied ou à vélo sur la route goudronnée, puis d’emprunter un sentier pour atteindre la gorge des Moutiers et enfin de se retrouver face à la Manche avec un carnet de croquis à la main. Tout est là pour fertiliser son imagination : le Pays de Caux offre des falaises crayeuses à perte de vue, la mer quant à elle change de couleurs selon son humeur, tantôt grise, tantôt verte jusqu’à la blancheur, la palette de braque évolue au diapason des saisons. Au sujet de l’environnement qu’il côtoie, l’artiste déclare ainsi : « j’ai eu des soucis de me mettre à l’unisson de la nature, bien plus que de la copier »…
Au cours de ses nombreuses marches sur la plage, il croise des barques échouées par les pêcheurs sur les galets. Braque les peint dénuées de présence humaine telles des spectres au pied des falaises devant des mers obscures et des ciels menaçants, les barques attendent ici un nouveau départ vers l’inconnu… Cette plage sera pour l’artiste une source d’inspiration mythologique. En 1929, il travaillera sur la Théogonie d’Hésiode, un récit consacré à la naissance de l’Univers et à l’origine des dieux. Braque y fait une relecture de l’art grec et étrusque, répond aux scènes de plage de Picasso. Il s’empare des éléments naturels qu’il trouve sur la plage, des morceaux de bois, de galets, des morceaux de craie remontés de la grève et en sculpte des figures de dieux antiques, il en fait même sur des dalles de plâtre et de ciment armé noirci à la fumée et incisé, faisant naître un dessin gravé de traits blancs d’Héraclès tout en majesté. En dehors des chevaux sous le capot qu’il collectionne (Bentley, Bugatti, Alfa Roméo, Simca…), Braque façonne des têtes équines stylisées avec la terre glaise du pays et en fait couler des bronzes.
Durant la Seconde guerre mondiale ses œuvres s’habillent de tristesse et de désolation, se composent de natures mortes sombres et de vanités. Après-guerre, il peint le monde qui l’entoure : son jardin, la campagne, des chaises , des vélos… un hymne au quotidien et à la joie retrouvée !
Dans les années 1950, Braque prend pour modèle un oiseau qu’il peint en série, parfois en couple, parfois proche d’un nid rempli de vie, l’oiseau appartient à deux éléments : à l’air et à la terre. L’oiseau en vol évoque enfin la liberté de l’artiste, mais symbolise aussi l’espace à lui seul. L’exposition réunit dans une salle ovoïde, presque en forme d’œuf, trois compositions d’oiseaux avec des cadres conçus par l’artiste, ici le visiteur semble flotter en apesanteur et prendre de la hauteur grâce à l’art.
Sollicité par l’abbé Jean Lecoq, curé du village, Braque réalise entre 1951 et 1954 les vitraux du chœur « Dominique avançant vers la sainteté » pour la chapelle Saint Dominique à l’entrée du village de Varengeville. Cette entrée en communion avec l’art sacré lui inspire la maquette « l’arbre de Jessé » en 1956 pour l’église Saint Valéry qui fait face à la Manche.
De nombreux artistes, poètes et écrivains viennent rendre visite à Braque et c’est en 1937 que Nelson fait venir le peintre catalan Joan Miró, le sculpteur américain Alexander Calder, et d’autres encore qui rejoignent cette colonie d’artistes qui ne connaissent pas les frontières. Tous contribuent à la maquette de la « maison suspendue » de Paul Nelson, Miró y réalisa une fresque dans le salon de ce dernier qui reconnut cette création comme l’application de ses théories d’intégration d’œuvre d’art dans une maison particulière. Au début de la Seconde guerre mondiale, Miró initie l’une des séries de peintures les plus connues de son travail : les « constellations ». A la même période, Calder, retourné aux Etats-Unis, développe dans un autre style sa « constellation », un ensemble de pièces de bois peint réunies et assemblées de fil de fer.
Cette exposition à Rouen retrace admirablement le creuset créatif de Varengeville-sur-Mer où séjourna une communauté cosmopolite d’artistes qui aura marqué l’histoire de l’art et de la région, créant non seulement une œuvre singulière, mais encore amitiés et fraternités. Incontournable et à découvrir !
(« Braque, Miró, Calder, Nelson. Varengeville, un atelier sur les falaises », musée des Beaux-arts de Rouen, du 5 avril au 2 septembre 2019, https://mbarouen.fr/fr ; tous visuels photos © Stéphane Chemin)