Sous ces auspices dorés, à des époques de grandes transhumances humaines, partir à l’aventure n’était pas un vain mot. Pas plus que voyager ne se cantonnait à une partie de campagne, train-bateau, bateau-train…
Le Grand Tour et les témoignages ineffables de ceux qui l’ont vécu revivent aujourd’hui grâce à un très beau livre pertinent aux Editions Nicolas Chaudun. Orchestrée par Giovanni Fanelli (professeur d’histoire de l’architecture) et Barbara Mazza (docteur en histoire de l’architecture et directrice photo), l’entreprise éditoriale que proposent les Editions Nicolas Chaudun se borne au périple italien, de Turin à la Sicile, de Gênes à Florence, sans oublier Rome, Milan, Venise, Naples ou encore Bologne, la Campanie, la région des lacs, la Toscane et la plaine du Pô.
Région du monde aimée des dieux et des hommes, la botte talonne de près l’Europe des Lumières où l’œil est flatté à chaque coin de ciel. Cette Italie de rêve se postait encore au carrefour des mentalités. Couloir de terre, voie naturelle au sortir de la France, de la Suisse, passage culturel obligé, réservoir à beautés, l’Italie était souvent pour le voyageur anglais, français, allemand, américain, l’avant-dernière halte d’un périple qui le conduisait vers la Sublime Porte, Constantinople.
« Italie, Le Grand Tour » est construit comme une promenade photographique. 150 daguerréotypes d’époque appuient son propos. Fanelli et Mazza se sont d’ailleurs appliqués, à travers un choix purement intime, à ne rien perdre de la sève qui s’écoule de ces clichés vitrifiés par le temps.
Certains ont été colorisés, beaucoup restent intacts dans leur étrange proximité. Chemin faisant, la promenade picturale devient littéraire. On accompagne Stendhal dans son Grand Tour jusqu’à Gênes. On y retrouve Henry James pour le suivre à Venise, et avec lui, se demander : « Comment exprimer ces tons roses du palais ducal […] ces blancheurs neigeuses des statues […] ces rougeurs du Campanile […] ces mille aspects de la mer, tantôt claire comme un miroir, tantôt fourmillante de paillettes comme la jupe d’une danseuse ? » (in. Italian Hours). A Rome, Emile Zola attend le train avec Madame…
Twain, Coleridge, Proust et tous les autres firent de l’Italie du Grand Tour, un creuset pour leurs œuvres. En miroir à leurs passions romanesques, de grands illustrateurs photographes immortalisèrent un monde d’échanges et de partage culturel, des petites gens, la misère, la richesse, des métiers condamnés à disparaître…Restent les paysages, inchangés. Le ballet des pierres tourne moins vite que celui des hommes…
En parallèle à cette sortie, les Editions Nicolas Chaudun éditent de très belles parutions autour de la photographie, de l’architecture et des Beaux-arts, des catalogues d’exposition prestigieux, ainsi que des récits de voyage et de fiction au contenu exigeant.
Découvrir ce « Grand Tour », c’est aussi soutenir la démarche iconoclaste d’une maison et de son catalogue de titres.
On ne pourrait refermer « Italie, Le Grand Tour » sans donner une mention spéciale, en toute fin d’ouvrage, aux pages siciliennes qui, de Palerme à Taormine, d’Ernest Renan à Guy de Maupassant, exhalent un parfum d’éternité digne de la prose du Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, des images de Visconti, comme des plus belles notes de Cavalleria rusticana, l’opéra de Pietro Mascagni.
Un ouvrage qui garde par devers lui le véritable idéal du Grand Tour humaniste : partir vers l’ailleurs en quête de Soi.
(« Italie, Le Grand Tour. Dans le miroir de la photographie au XIXe siècle », de Giovanni Fanelli et Barbara Mazza, Editions Nicolas Chaudun, 352 pages, 150 photographies, sortie novembre 2013, 50€)