Celui que Guillaume Apollinaire surnommait « le peintre voluptueux » nous a laissés son empreinte fauve ! Rien n’est moins sûr avec Henri Manguin (1874-1949), peintre reconnu, et parfois aussi moins nommé que ses illustres « frères » du fauvisme, terme consacré, en 1905, au Salon d’Automne, pour désigner ces « Fauves », nouveaux venus d’un art qui fait fi de l’académisme bourgeois. Ces féroces anticonformistes, rugissant une palette chromatique inédite, s’appellent Albert Marquet, André Derain, Maurice de Vlaminck, Charles Camoin, Louis Valtat, Henri Matisse…et l’autre Henri, Manguin.
Pour eux, l’anonymat n’est pas une option et la création n’est qu’en avant. C’est une profession de foi !
Un engagement lie ce groupe d’hommes : s’éloigner des modèles, des dieux, des chapelles, retrouver la Nature, renouer avec le simple faste sensuel du bonheur de vivre, de créer. Parmi ces derniers, Manguin fait figure d’ex-libris ! Et sa devise pourrait être : « aime et peins ! » A l’instar de l’auteur d' »Alcools », l’homme est aussi poète, seulement son livre à lui, ce sera la toile blanche. Ses vers, ce seront les verts profonds, les azurs tendres, les rouges sanguins.
Après son entrée à l’Ecole des Beaux-arts, il retrouve Matisse et Marquet dans l’atelier de Gustave Moreau, en 1894. En effet, dès 1889, le jeune Henri Manguin abandonne ses études au lycée Condorcet, à Paris, dans le but de consacrer exclusivement son temps à la peinture. Une trajectoire toute tracée, évidente alors aux yeux de ce jeune homme, connu pour sa fidélité aux trois muses de sa vie : ses amis, son art, et sa femme. C’est d’ailleurs elle, Jeanne Manguin, née Carette, qui reste, à de rares exceptions près, l’unique modèle présent dans son œuvre.
Son œuvre, Manguin la travaille, justement. Le fait est qu’il exposera dans le monde entier de son vivant. Un parcours sous le règne de la couleur, auquel rend aujourd’hui un bel hommage le Musée des impressionnismes Giverny. Avec quelque 90 peintures, aquarelles et dessins, l’exposition touche ses premières années créatives, jusqu’au tournant de la Première Guerre mondiale. Avant le conflit, avant les baïonnettes au canons, la vie, et une certaine douceur d’âme, exultent chez Manguin. C’est le temps de l’amitié, de la fraternité artistique.
En 1904, Manguin découvre le petit village de Saint-Tropez, il se lie avec Paul Signac et un autre lui-même, le post-impressionniste Henri Lebasque. Le cadre flamboyant de la Provence, ses voyages en Italie, distillent dans l’univers pictural de Manguin une cohérence et une joie d’être au monde spiritualisées. Dès l’or du matin, l’artiste fait cohabiter son modèle récurrent (sa femme, Jeanne) avec la séduction renouvelée des paysages méditerranéens…
Avec Manguin, l’Eden est sans Dieu, mais sa palette est sans limites…
La couleur guide le visiteur le long des salles comme un fil chatoyant. Instants de grâce, scènes de la douceur de vivre du Sud, nus posés, ou capturés dans un moment d’abandon à l’œil de l’artiste, nous rappellent que la peinture est autant un voyage qu’une impression.
« La Pinède à Cavalière » (1906), « Devant la fenêtre, rue Boursault » (1904), « L’Amandier en fleurs » (1907), « La Couseuse à la robe rouge » (1907), « Le 14 juillet à Saint-Tropez » (1905), ses drapeaux tricolores, son vieux port et ses flonflons sont un échantillon du talent de Manguin à ensauvager une scène afin qu’elle captive encore nos yeux curieux de lumières éclaboussées.
En bref, courez-y, cette belle expo vous fera voir la vie en couleurs !
A noter : Le superbe catalogue de l’exposition, paru aux éditions Gallimard, entièrement illustré, qui poursuivra ou donnera le la à la visite, avec, en belle place, l’iconographie fidèlement choisie et reproduite au fil des pages. Un livre où l’art de la couleur chez Manguin fait office de vocabulaire. (Catalogue d’exposition, éditions Gallimard, 160 ill. couleur, 160 pages, sortie 6 juillet 2017, 29€)
(« Manguin, la volupté de la couleur », Musée des impressionnismes Giverny, du 14 juillet au 5 novembre 2017, http://www.mdig.fr/ ; tous visuels © Stéphane Chemin)