En France, pourtant terre de révolution, des peignées de bourgeois fondamentalistes, érotomanes du papier, se retranchent encore et toujours derrière les hautes grilles de leurs palais versaillais…Leurs inquiétudes sont étales.
Mais sont-elles seulement légitimes ? Depuis 2 ans, les commentateurs les plus pessimistes nous annoncent, avec des précisions d’oracle, la mort du livre papier, la fin inexorable de toute une civilisation qui, de Gutenberg à Frédéric Beigbeder (sic), donna ses plus belles lettres de noblesse enluminées au genre humain. La réalité, comme souvent, est plus nuancée.
Laissons parler les chiffres : on attend 646 nouveaux romans, dont 426 français, pour la plupart issus d’auteurs qui ont à leur actif d’avoir publié un roman, voire plus. Dans cette « nasse » de 426 bouquins, 69 d’entre eux figurent les outsiders : entendez que ce sont des premiers romans, dont péniblement 1 ou 2 petits élus parviendront à tirer leur plume du jeu médiatique et faire l’écho de leurs lignes auprès du public des libraires, ces derniers tirant, dès leurs premières installations d’août, la couverture aux mastodontes de la vente et chéris des médias, lesquels, de toute façon et chaque année, ne connaissent guère qu’une sainte trinité littéraire qu’ils congratulent plus qu’ils ne lisent, l’autel Modiano/Angot/Nothomb.
Une fâcheuse absence de sang neuf que d’aucuns pensent être le motif de discorde entre pro et anti numérique. L’affaire se corse. Car (et vous qui surfez sur le Net en êtes un facteur privilégié) la désertion des librairies en-dehors des grands-messes type Goncourt en appelle une autre, corrélative : celle des maisons de la presse. Combien de nouveaux titres magazines sont-ils lancés depuis une poignée d’ans ? 30 ? 40 ? Combien survivent-ils aux 12 mois de publication ? Zéro. Les vétérans que sont « Lire » et « Le Magazine Littéraire » sont (encore) dans les kiosques pour en témoigner. Leurs moyens de survie ? Réduire drastiquement les coûts de production et de pige, ratisser large et conventionnel, ne plus engager de nouveaux rédacteurs, et tout miser sur leur portail web, au détriment du titre papier qui s’étiole lentement, mais surement entre des présentoirs surchargés. Version cinéma et mode, « Studio CinéLive » ou « Vogue » ne font pas différemment. Les gens ne lisent-ils donc plus ? Bien sûr que si ! Mais leurs habitudes de lire (et de consommer) sont en train de subir une mutation telle que les brachiosaures séculaires du secteur de l’édition ne peuvent que s’y adapter pour survivre. Dès lors, d’autres conversations ne tournent plus qu’autour d’une même question : liseuse ou tablette ?
Signe des temps, le MoMa vient de publier deux ebooks qui s’appuient sur l’une des dernières technologies d’Apple, « iBooks Author » : Century of the Child, Growing by Design, 1900-2000 et MoMa Collection Highlights. Deux livres numériques qui ne se contentent plus de présenter les œuvres, mais s’agrémentent de vidéos en très haute définition et permettent une exploration interactive des contenus avec sculptures 3D ! Et le musée Guggenheim de lui emboîter le pas en proposant ses catalogues sur ebooks ! Vous en voulez plus ? Sachez que la tablette Google Nexus 7 devrait être enfin disponible en France avec les premiers flonflons de rentrée, en exclusivité à la Fnac. Sur cette lancée, les marques ne cessent de jouer la nouveauté, plus rapide, plus pratique, plus maniable, comme jadis les lourds in-folio des moines copistes laissèrent leur place à des volumes plus lestes, qui à leur tour s’amenuisèrent pour accoucher enfin du livre de poche, format que toutes les maisons ont adopté depuis.
Et le roman, dans tout ça ? Quel avenir pour la fiction ou l’essai qui, s’ils se passent d’images, ne se passent pas pour autant de mots pour se dire ? Eh bien, ici aussi, le changement vient des jeunes. Selon une étude Médiamétrie et GFK menée au deuxième trimestre 2012 « 95.7% des foyers 50+ avec au moins un enfant de -15 ans à la maison s’avouent séduits par l’achat de la tablette tactile, quand 5% d’entre eux en possèdent déjà une ». Le marché se restructure, en tête les grands éditeurs anglo-saxons à avoir les premiers pris le tournant de l’ère numérique : Penguin Books, Doubleday, etc. Les agents littéraires s’engouffrent dans la brèche, conseillant à leurs auteurs de s’émanciper de la tutelle souvent castratrice et ampoulée des maisons, pour se tourner tout entier vers le numérique, potentiellement plus rémunérateur. Il ne s’agit pas de faire disparaître le livre papier. L’homme n’est pas prêt de couper le cordon d’avec cette ancre matricielle. Toucher, respirer un « vrai » livre resteront sensiblement dans ses gênes. Mais certains d’entre nous, et les générations suivantes, connaissent d’ores et déjà l’envie d’autres besoins…plus immatériels.
Bain et Cie a interrogé un panel représentatif en Europe, Japon, Corée et USA. Il en ressort que, « d’ici 2015, 15 à 20% de ces populations seront équipées d’une tablette en lecture e-ink (Booken, Kindle,…) ou LCD (iPad, Galaxy Tab,…). » Avec un prix moyen de 200€ par tablette, le risque de piratage est grand. 45% des acheteurs/consommateurs avouent d’ailleurs lire autant de ebooks à l’achat que de lectures pirates, donc gratuites. On peut s’en douter, ce débat inquiète plus les professionnels du livre que les consommateurs, car se trouvent au cœur des réticences du secteur français de l’édition bon nombre de préoccupations plus pécuniaires que culturelles, ou même, d’éthiques. N’en déplaise, les lecteurs changent. Mais l’envie de lire une bonne histoire demeure partout à la surface du globe.
Connaissez-vous le mouvement des bibliothèques libres ? A l’instar du système de troc des livres chez Starbucks, le « Little Free Library » est un concept qui nous vient des USA. Il enjoint chacun à construire une maisonnette, de la taille d’une maison de poupée, à l’extérieur de chez soi, puis d’y placer les ouvrages de son choix afin que chacun, passant et voisin, puisse venir se servir et y laisse une lecture précédente. Une idée généreuse, écolo et participative qui vise à rapprocher les gens autour de la lecture. Un vent de fraîcheur dans un espace d’imaginaire où il est bien souvent question de gros sous au détriment de la liberté. Finalement, peu importe qu’on soit accro au papier ou fan de nouvelles technologies, précurseur ou gardien, l’essentiel étant qu’il y ait toujours des livres à lire, et des gens pour les écrire.
Bonne rentrée à tous !