Car l’homme n’est pas qu’un bloc de chair accroché à un squelette gracile, deux bras, deux jambes et une tête pensante. Il est aussi un formidable réservoir, un puits sans entrée ni fond creusé pour que s’exprime son imagination. La bête humaine ne se contente pas de créer des mondes, elle les habite, les meuble, les ordonne selon ses désirs, ses rêves, et même, parfois, ses peurs. De fait, le croquemitaine de l’enfant reprend du poil de la bestiole pour se muer, à l’âge adulte, en un monstre plus propice à générer mémoire et chimères, à peupler la forêt intérieure des hommes qui recèle son lot de fantasmes, de perversion, comme d’évidente fascination envers ce qui ressort du territoire occulte. Ainsi prête-t-on aux loups-garous l’ambigüité sensuelle et vorace du « chien des bois ». Aux succubes, la terreur fœtale de l’infanticide. Aux vampires, l’érotisme meurtrier et l’appétit inextinguible des grands prédateurs.
Dans les bacs des (bons) libraires, on peut encore trouver le remarquable ouvrage « Encyclopédie du Fantastique », aux éditions Ellipses, livre-somme qui ravira les fans de créatures fantasmagoriques aussi bien que les esthètes du mystère, les purs et durs de la fantasy comme les lecteurs dilettantes. Alors, éculé, le fantastique ? Voire ! Puisqu’en quelques 1100 pages, plus de 500 articles et 58 auteurs, cette encyclopédie se paie le luxe de convoquer dans le temps et l’espace ce que l’homme imagina de plus éloquent en réponse au désœuvrement de son quotidien. Loin de réifier le genre, l’exercice s’avère, sinon jouissif à l’aficionado borgien qui affectionne les cavernes mentales, du moins hautement indispensable à quiconque s’intéresse au sujet. Grâce en soit rendue à ses initiateurs ! De L comme Lycanthropie à Z comme Rob Zombie, en passant par les incontournables, tels Lovecraft, l’exotisme, avec le Yokaï et la thématique explorée du fantôme, ou encore les auteurs inconnus au néophyte européen, tel le russe Andreï Biely qui fut, au tournant du 19ème siècle, un représentant actif du symbolisme dans son pays doublé d’un toqué de paranormal, le livre brosse un tableau incroyablement évocateur de la puissance imaginative de l’homme à l’œuvre. Un peu comme si Darwin, énonçant que l’homme descend du singe, s’entendait rétorquer : « Hep ! Sir ! Quelle imagination vous avez ! »
(« Encyclopédie du Fantastique », sur une idée de Pierre Brunel, coordonné par Valérie Tritter, éditions Ellipses, sortie le 16 Avril 2010, 1104 pages, 49,70€)