Jules Verne (1828-1905) aurait eu une carrière de rond-de-cuir toute tracée s’il avait accepté de devenir juriste pour reprendre la succession de son père. Or, à la fin de ses études de droit, le jeune Jules s’enthousiasme pour la littérature : il dévore les ouvrages dédiés aux explorateurs, des traités d’innovations scientifiques du 19ème siècle, et se passionne pour un nouveau genre littéraire alors en pleine vogue via les contes d’Hoffman ou ceux d’Edgar Poe, le fantastique. Il prend alors conscience de la puissance de l’imaginaire. Sa passion le mène à écrire des nouvelles et pièces de théâtre mais il ne rencontre pas le succès… Il fait la connaissance, en 1861, de l’éditeur engagé et d’avant-garde Pierre-Jules Hetzel (Hugo, Dumas, Sand, Balzac, Baudelaire, Proudhon…) qui lui conseille de changer d’orientation et d’aller vers le roman d’aventures où il pourra imaginer des histoires habitées de mystères, d’intrigues, de géographies lointaines et de sciences.

En 1863, parait chez l’éditeur Hetzel « Cinq semaines en ballon » qui connaît un véritable succès en France et à l’étranger. L’éditeur invente à cette époque le « marketing » en proposant une édition simple (seulement du texte) et une autre édition « augmentée ». Il fait ainsi appel à des illustrateurs de renom, tel Grandville, ou Gavarni, et demande à ces reporters d’images d’un genre nouveau d’inventer avec un souci de réalisme décors et paysages sans être jamais s’être rendus sur place, de concevoir les couvertures enluminées et pages intérieures : plus qu’un livre, un objet précieux que le lecteur a envie de posséder. Jules Verne utilise un genre littéraire ancien et reprend des thèmes antiques tels l’Odyssée, les travaux d’Hercule, les tribulations d’Œdipe… qu’il modernise et regroupe sous l’appellation des « Voyages extraordinaires » (62 romans) conçus dans un but éducatif et récréatif défini par l’éditeur.

Descente en eaux profondes

Le Muséum, situé dans le jardin départemental du Las (classé Jardin remarquable), assure la conservation, la production et la diffusion des connaissances sur la biodiversité du Var. Il accueille la première partie de l’exposition Jules Verne dédiée aux abysses. La surface des mers et des océans recouvre environ 70% de la planète Terre. Ce monde composé d’eau fascine l’écrivain qui s’intéresse à cet univers méconnu par l’homme. Le visiteur embarque pour l’exposition au sein d’un Nautilus transformé en cabinet de curiosités, on s’attend à croiser le capitaine Nemo au tournant… On y découvre bien évidement les précieux ouvrages (« Vingt mille lieues sous les mers », « Un capitaine de quinze ans », …) des illustrations, des plans de machine, des outils de navigation, des poissons empaillés, des maquettes de différentes générations de sous-marins, un scaphandre…

Pour se rendre dans le fond des océans, l’homme a besoin des machines qui le transporteront dans ces profondeurs. Jules Verne n’est pas un inventeur, il se base sur un abondant travail de documentation scientifique que son imagination transforme en une fiction vraisemblable. Il fait entrer dans ses fictions des termes techniques, des données scientifiques réelles, des mots étrangers pour rendre un récit passionnant. Nombreux sont les récits de Jules Verne où l’écrivain ne savait pas ce qui était exact scientifiquement pour son époque, mais il est surprenant de constater combien ses choix se sont révélés vrais et justes, tel un visionnaire.

La passion de Jules Verne pour les océans l’amène à s’engager pour la défense de l’environnement. Déjà à son époque il constate la surpêche de la faune animale, le massacre des baleines et comprend que la disparition d’une espèce à cause de l’homme peut entraîner des conséquences néfastes sur son écosystème.

2001 : L’odyssée de l’espace

A une vingtaine de minutes de Toulon en voiture, se tient la seconde partie de l’exposition Jules Verne à la Maison départementale de la Nature des 4 Frères (commune du Beausset) consacrée aux étoiles et au cosmos. Le romancier se passionnait pour l’astronomie qui conjugue la rigueur de la science à la poésie des astres. Il met en scène la conquête spatiale, ses personnages quittent la terre pour l’espace inconnu et forment des équipages composés d’astronomes, marins familiers des étoiles, spationautes en devenir. Il s’appuie sur des écrits scientifiques et des revues de vulgarisation des sciences pour rendre crédible ses ouvrages tels « De la terre à la lune », dès 1865. Défenseur du progrès technologique, il se fait pourtant sévère critique de celui-ci dans ses derniers romans tels « Le volcan d’Or » ou « Maître du monde » dans lesquels ses personnages deviennent cupides en détournant les nouvelles technologies.

Un parcours entre mers et ciels dans les pas du grand Jules Verne à découvrir absolument. Car Jules Verne n’est pas un naïf, c’est un artiste à la fois terre-à-terre et touche-à-tout, clairvoyant, visionnaire, à l’imagination sans bornes souvent victime de sa propre lucidité sur le monde et l’homme. Il comprend son époque et dresse à travers ses « voyages extraordinaires » un état du monde en ébullition qu’il met en avant : le colonialisme européen, les guerres, la révolution industrielle et la place de l’homme dans la société. Jules Verne est un romancier du voyage, un romancier du changement qui met l’humanisme en images. Pour lui, être humaniste, c’est s’efforcer de croire – malgré tout – aux puissances positives.

(« Jules Verne, des abysses aux étoiles », au Muséum départemental du Var à Toulon, et à la Maison départementale de la Nature des 4 Frères (Le Beausset), du 28 septembre 2019 au 9 février 2020, https://museum.var.fr ; tous visuels photos © Stéphane Chemin)