Dans le parcours Rushdie, le premier clignote dès son adolescence et les années de formation. A force de cuisson et d’une macération patiente, l’aspirant romancier finit par accoucher des « Enfants de Minuit ». En 1981, le plat est bon ; surtout, l’accueil qui va lui être réservé promet d’être fumant ! Et le prestigieux Booker Prize ne s’y trompera en lui décernant la palme cette même année. Voilà de quoi assécher plus d’une plume et virginiser à jamais plus d’une page d’écrivain, mais Rushdie, dont les rêves se réalisent enfin, voit dans ce tremplin la promesse et le cadeau auxquels aspire tout artiste normalement constitué : une carrière. Pétaradant, le second feu passera au rouge vermeil sept ans plus tard. Car en 1988, Salman Rushdie atteint les cimaises avec la fatwa que ses « Versets Sataniques » inspirent à l’Iran de Khomeini. Le verdict de l’ayatollah est sans appel. Quant à la presse, elle se délectera de faire l’écho d’une situation politico-religieuse explosive, aux dépens des qualités intrinsèques au roman et oblitérera l’œuvre du poinçon de la polémique, grevant pour toujours dans l’esprit du public l’auteur des « Versets Sataniques » comme la victime emblématique du fanatisme musulman. Le livre, lui, reste encore en tête des gondoles du monde occidental. Mais, bien après la fièvre, que sait-on vraiment de Rushdie le mystérieux, du porte-étendard de toute une génération d’intellectuels, de l’ami de Paul Auster, de celui qui déclare aimer l’Inde et Günter Grass, avoir un faible à l’endroit de Boulgakov et des jolies femmes ? Rien, ou si peu. La célébrité se nourrit de cet avantage formidable qu’elle expose sous toutes les coutures l’arbre et occulte la forêt. Las ! Les visages masquant les noms, tout juste ferons-nous remarquer que le sien se confond de loin en loin d’avec celui de Stanley Kubrick. Curieux rapprochement pour ces deux britanniques d’adoption…Nous nous bornerons donc, dans cette chronique, de parler de son nouvel opus, sorti à l’automne dernier chez Plon, souple avatar de ce qu’il est désormais convenu de ranger sous l’appellation « réalisme magique ».

"Luka et le Feu de la Vie" de Salman Rushdie - Editions Plon

« Luka et le feu de la vie » de Salman Rushdie – Editions Plon

Dans « Luka et le Feu de la Vie », il y a un chien dénommé Ours, et un ours qui s’appelle Chien, des dragons, des fées vêtues de voiles dansants et un tapis magique, une sultane indigne, enfin le père du petit Luka, qui, par une nuit cabossée d’étoiles, s’abîme dans un sommeil si profond que son plus jeune fils devra braver tous les dangers pour l’en extirper. Car c’est à la féerie de l’Orient et dans le sillage de ses contes bigarrés qui firent florès dans l’Arabie heureuse que vous convie Salman Rushdie aujourd’hui. Le récit, pensé comme une fable d’initiation, progresse par sauts et gambades au fil des pages. Vingt après « Haroun et la mer des histoires », le romancier reprend la trame fantastique qui le fit connaître, mais n’en oublie par pour autant de coller au plus près à son époque avec ce récit primesautier, charmant et joyeux, qui ne peut que ravir ceux qui n’ont pas oublié leur émerveillement d’enfant. Ainsi, il y a mieux que parcourir le pedigree de l’auteur sur la quatrième de couv’ d’un livre…Ouvrez-le.

(« Luka et le feu de la vie », de Salman Rushdie, éditions Plon, traduit de l’anglais par Gérard Meudal, sortie le 28 Octobre 2010, 216 pages, 18,50€)