Premier diamant noir de cette excavation littéraire, « Double Hélice », sorti au printemps dernier aux Editions du Masque. Avec son casque de chantier braqué sur la quatrième de couv’, le futur lecteur se renseigne généralement, avant toute exploration des profondeurs, sur le pedigree de l’auteur. Ou des auteurs. En l’espèce, Philippe Kleinmann, chirurgien, et Sigolène Vinson, avocate. Duo plus connu des aficionados du genre comme ayant décroché le Prix du Roman d’Aventures 2007 pour « Bistouri Blues », disponible au Masque. Mais, passée l’étiquette AOP et les estampilles contrôlées, place à la chair ! La leur est à double…cuisson. Ici, le gourmand, harponné, délaisse normalement pelles et pioches au profit de la fourchette, ou, mieux, du scalpel, et s’enfonce avec délice le long du tunnelier de l’intrigue. Car des tunnels et des déviations, il y en a dans une trame schizo et chronophage à souhait greffée sur le mode Crichton, période « Timeline ».
Alors, résumer de quoi ça cause sans tomber dans le banal, la redite, voire sans carrément déflorer le mystère retourne de la gageure du critique. Passons : ce « Double Hélice » se dévore sans fin. Les pages défilent. En voilà un qui sent bigrement le cinématographe ! Et si on faisait l’essai puisque, comme nos amis d’Hollywood le disent si fort « tout peut et doit être adapté », que donnerait le passage, la radiation de l’objet livre au format sensible de l’écran total ? On imagine sans peine quelque blanc-bec fringuant tenir le rôle de l’étudiant en biotechnologie, Samuel Lenostre. Un beau gosse propre sur lui, courant après le cachet ou la gloire, un brin d’autodérision et une touche d’aspérité rugueuse en sus. En face, de l’autre côté de l’hélice, et lui tenant la dragée bien haute sur l’affiche à défaut d’un vrai champ/contre-champ à l’image, on rêverait un outsider, un gars pas vu depuis des lustres mais avec à son actif quelques pampilles, de la bouteille d’apothicaire et un regard d’apprenti-sorcier pour incarner Joshua Lenostre, le père de Samuel disparu dès les primes lueurs du roman dans l’incendie de son laboratoire, drame à l’origine de cet inextricable sac à marigot. Au filmage, un Tom Tykwer qui vous l’embobinerait façon « Cours, Lola, cours » et « Le Parfum » en note de cœur. Alexandre Aja, Guillaume Canet boucleraient ça très bien, question de génération, ou Jérôme Salle. Dans l’histoire, Samuel se voit convoqué à l’étude d’un notaire vénitien, afin d’y accuser réception d’un étrange opus, dont son père semble être l’auteur posthume…Pour la suite, vous n’avez qu’à vous procurer le livre, ou attendre le film.
Changement d’ambiance et d’époque(s) auprès de Louise Welsh. Louise Welsh, vous connaissez ? Une maîtresse écossaise avec des cheveux noirs d’encre, un carré à la Chantal Thomass et un fouet en guise de plume, un style à couper au couteau de cuisine, des phrases qui claquent comme les rafales au-dessus de Balmoral par gros temps ? Sinon, elle a été libraire dans le civil. Ça y est, ouf !, on a eu chaud ! La revoici la revoilà, la Crime Sister des lettres scottish qui publie « De vieux os », en cette rentrée chez l’excellent éditeur Métailié, décidément inspiré par les belles étrangères (critique « La huitième vibration » de Carlo Lucarelli). A se coltiner les affres d’un universitaire tristoune de Glasgow, y aurait de quoi craindre le coup de biniou, ou le tour de anche. C’est qu’v’là l’Dr Watson salement abîmé dans ses recherches sur le compte d’un poète volatilisé, prénommé Archie Lunan. L’un n’a rien du parèdre de Sherlock Holmes, l’autre s’est noyé à 25 ans. Drôle d’énigme que celle qui fascine Murray Watson sur fond de décor gothique et d’effluves jazzy aussi entêtants qu’un whisky pur malt. D’autant que ses amours ne sont pas exactement au beau fixe. La faute aux ombres du passé ? Au délitement des idéaux d’une génération perdue ? Et est-ce une si bonne idée que ça de s’engluer jusqu’aux reins dans cette liaison avec la femme de son directeur de thèse ?
Autant de points d’interrogation auxquels l’auteur taille de larges voies suspensives…Car, dans « De vieux os », rien n’est à craindre. Ou si d’ailleurs. Obsession, perversion, figures clivées, personnages à la limite de l’ennui ou de la folie, tout est à redouter, rien ne nous sera épargné. Et c’est tant mieux. Logiquement, v’là des perspectives pour un diable de film ! Des noms se chevauchent, s’entrechoquent. On pense un Kenneth Branagh au combo (promo « Dead Again », pas « Thor »), on aperçoit déjà Baltasar Kormákur, Mark Romanek par la chatière, on fantasme le cinéma d’un Roman Polanski au pays des Highlands. Mi-enquête, mi-roman psychologique hautement addictif charriant des thèmes compressés, comprimés jusqu’à la moelle et passés à la moulinette illusoire de nos aspirations, voici un livre jubilatoire où chacun est intrus à lui-même. See you through the windy !
(« Double hélice » de Kleinmann et Vinson, éditions du Masque, sortie Avril 2011, 414 pages, 17,70€ ; « De vieux os », de Louise Welsh, éditions Métailié, traduit de l’anglais par Céline Schwaller, sortie le 13 Octobre 2011, 384 pages, 21€)